Pouvez vous nous parler…

Le MBAL initie une série de petites publications destinée à donner un éclairage inédit sur une œuvre à travers l’interview d’un artiste invité par le musée.

Le premier numéro est consacré à l’artiste Mishka Henner qui a exposé Field, une installation spécifiquement créée pour le musée en 2016. Consistant en un assemblage de photographies satellitaires de très haute définition, l’image qui se déploie sur 13 mètres de long offre une vue effrayante de l’un des plus grands champs pétroliers américains. L’image-satellite, captivante par bien des égards, se révèle être une « preuve par l’image » de l’impact destructeur de l’homme sur notre planète.

Le deuxième numéro est dédié à l’artiste anglais Dan Holdsworth qui mêle art, science et nature pour produire des photographies qui bousculent nos perceptions et réinventent la notion de paysage. C’est à l’aide d’instruments de haute précision que l’artiste récolte des données millimétrées en collaboration avec un géologue. Grâce aux dernières innovations photogrammétriques et géocartographiques, les centaines de photographies prises depuis un hélicoptère ou par un drone sont méticuleusement compilées et associées à des coordonnées GPS. Le résultat est une imagerie 3D de massifs montagneux d’un degré de détail jamais atteint. Chaque contour et fissure des reliefs sont rendus visibles et pourront être disséqués par les archéologues de demain.

Le troisième numéro est consacré à Mathieu Bernard-Reymond qui s’intéresse à la notion de production et de transformation. La sérieTransform : Power se fonde sur des images réalisées dans des centrales nucléaires et hydrauliques montrées au travers de détails architecturaux. Certaines images sont ensuite manipulées par un algorithme qui leur fait perdre leur apparence documentaire pour devenir de plus en plus abstraites. L’interaction entre enregistrement du réel et interprétation artistique s’établit également par un accrochage complexe des images qui se juxtaposent à la manière d’un collage.

Le quatrième numéro s’intéresse aux dernières recherches de l’artiste d’origine coréenne Ina Jang. Utopia, réalisé à partir d’images trouvées sur des sites Internet de magazines japonais, présente des silhouettes de corps féminins aux poses suggestives. Les postures et chevelures n’ont pas été modifiées par l’artiste, on trouve sa marque dans la technique du collage et le traitement des couleurs en aplats. Son catalogue de silhouettes offre le regard d’une jeune artiste du 21e siècle qui s’empare du nu féminin.

Le cinquième numéro est consacré à Camille Scherrer qui, avec l’installation Dings & Floats présentée au MBAL, plonge littéralement le spectateur dans un univers en réalité augmentée. Au public d’interagir avec le dispositif créé par l’artiste : l’œuvre apparaîtra comme par magie !

Le sixième numéro s’intéresse au travail de Thibault Brunet qui, muni d’un scanner 3D mis à sa disposition par la firme Leica Geosystems, enregistre l’environnement à 360 degrés. L’appareil de pointe utilisé par l’artiste restitue l’espace en un nuage de points proche de la modélisation virtuelle. La mise en mouvement des images obtenues permet au visiteur de « traverser » littéralement ces paysages figés.

Le septième numéro est dédié à l’œuvre de Penelope Umbrico  qui propose une réinterprétation radicale des images que nous consommons au quotidien. Travaillant à partir d’images existantes trouvées dans les livres et sur Internet (Flickr, eBay ou Craigslist), l’artiste interroge ces différentes représentations. L’univers numérique est à ses yeux un véritable espace d’expérimentations qui lui permet de créer de nouvelles mosaïques visuelles. Invitée par le MBAL à réaliser une oeuvre dans le cadre de la Triennale, l’artiste interroge l’écran, un support devenu indispensable à nos vies. C’est lors d’un au Center for Future Publishing, laboratoire de nouvelles technologies graphiques au sein de la HEAD à Genève, qu’elle a réalise Screen to Screen en démembrant des écrans d’ordinateur afin de révéler leur matérialité sous-jacente.

Le huitième numéro est dédié à l’œuvre de l’artiste français.e SMITH (1985) qui développe un travail où la métamorphose de soi prend une place centrale. Ses images poétiques invitent à la contemplation et évoquent le souvenir de corps absents. Similaires à des images de laboratoire, ses Spectrographies font référence aux nouvelles technologies qui nous permettent, par l’intermédiaire d’un écran, de regarder, d’échanger, de toucher des êtres pourtant physiquement absents. SMITH s’est armé·e ici d’une caméra thermique afin de poursuivre son exploration d’une anatomie transformée, cherchant à représenter un au-delà du corps. Ses photographies thermiques – ou thermogrammes – sont des spectres conjurant l’absence. Dans le film qui accompagne la série, un personnage déambule seul dans la nuit. Là aussi, le corps se transforme en fantôme, le manque devient une force plastique qui affirme sa présence par surbrillance. Dans ce face-à-face avec l’invisible, l’être disparu fait présence. Il s’agit pour l’artiste de convoquer la philosophie, la littérature, le cinéma, les sciences et la psychanalyse dans une oeuvre qui donne à voir l’invisible.

Le neuvième numéro est consacré au travail de Noémie Goudal (1984). Pour cette artiste française, admettre que le paysage tient autant de la fiction que de l’artifice reste difficile, comme si cela contredisait notre expérience intérieure. Son travail fascinant induit subtilement cette prise de conscience, par des dispositifs infiniment complexes et des approches théoriques à chaque fois renouvelées. Elle investit le rez-de-chaussée du musée avec une installation labyrinthique, nous invitant à déambuler parmi une sélection de photographies récentes. L’artiste française, longtemps établie à Londres où elle s’est formée, puise une grande part de ses influences dans l’histoire des sciences. Après avoir évoqué notre rapport mouvant au ciel, la photographe consacre ses trois dernières séries à notre compréhension, tout aussi fluctuante, de la formation de la Terre, de ce qui ne s’appelait pas encore géologie, quand nous pensions les montagnes éternellement statiques. « Soulèvements » et « Démantèlements » nous rappellent qu’a contrario, le visage de la Terre dessiné par le relief est bien interminablement mouvant. « Telluris » souligne l’obsession humaine à vouloir saisir son milieu, comme si l’apprivoiser avec des équations rendait notre condition existentielle moins fragile. Noémie Goudal veut placer le spectateur dans une position active, autant par les décors immersifs qu’elle imagine pour présenter son travail, mais aussi par ce style unique, le plus souvent des photographies de grand format, vides de tous repères spatio-temporels, conçues comme une succession de couches.  Au premier regard, la référence à la tradition photographique du paysage américain émerge, mais très vite, nous comprenons que nous ne sommes pas face à une image documentaire. L‘artiste laisse volontairement des indices nous conduisant à cette prise de conscience.

Le dixième numéro s’intéresse à l’œuvre de Alix Marie (1989). Pour sa première exposition en Suisse, la plasticienne française établie à Londres poursuit ses réflexions autour de notre relation au corps. Alix Marie y explore le mysticisme féminin à travers différentes figures mythologiques : la marraine, la sorcière et la sirène. En investissant le 3e étage du MBAL, l’artiste inspirée par la chambre verte imagine une maison où dorment deux jeunes filles venues visiter leur marraine. La chambre est hantée de présence féminine. Le vert étant la couleur de l’autre, de la science-fiction, du fantastique, ou encore de la peau de la sorcière, l’artiste inscrit l’exposition dans le domaine de l’enfance et du conte de fée. L’espace investit par Alix Marie fait aussi référence à la chambre verte de la marraine de l’artiste qui, à travers l’écriture et la performance, partage avec elle un intérêt pour le corps. Poursuivant ses recherches sur les mythes et le genre, Alix Marie s’attelle ici aux figures féminines qui habitent l’enfance : sorcière, marraine, sirène – des figures doubles, maléfiques et/ ou bénéfiques, qui découlent de superstitions et croyances qui ont un impact sur la psychologie et l’imaginaire. Chez Alix Marie, le questionnement de la construction du genre se mêle ainsi à l’autobiographie de l’artiste et à la mythologie afin de faire résonner une nouvelle expérience chez le visiteur.

Le onzième numéro est consacré au travail de la New-Yorkaise Ruba Abu-Nimah (1966), d’origine palestinienne et de nationalité suisse. Vivant au coeur même de Manhattan, la graphiste et directrice de création travaillant avec les plus grands photographes de mode, a soudain décidé de documenter avec son téléphone le calme puis l’agitation des rues, d’abord par choc puis par fascination pour la transformation opérée par sa ville, fortement touchée par la pandémie. Après avoir vu ses rues vidées, ses habitants ont repris possession de l’espace public mais tout est désormais différent. Elle a accepté l’invitation du MBAL et crée une installation qui reprend le récit de cette année inédite, mêlant ses images à celles d’adolescents new-yorkais ayant arpenté les rues de la ville avec elle.

Éditions Musée des beaux-arts Le Locle
Publication dirigée par Nathalie Herschdorfer
Entretien mené par l’écrivain et sociologue Joël Vacheron
Coordination de la série : Morgane Paillard
Graphisme : Florence Chèvre
Bilingue français-anglais
Disponible à la boutique du musée.
Commandes par email ou par téléphone
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mbal@ne.ch